Il y a 120 ans, le 10 août 1903, se produisait sur la ligne 2, le plus important accident que connut le métro parisien – il causa la mort de 84 personnes aux stations Couronnes et Ménilmontant.
Le métropolitain
En août 1903, la première ligne du réseau (Porte Maillot-Vincennes) a été inaugurée trois ans plus tôt. La ligne 2 Nord (Porte Dauphine-Nation) a été achevée quatre mois auparavant et l’ouverture de la ligne 3 est proche. Le métro est en pleine expansion et les Parisiens ont adopté ce nouveau mode de transport alors géré par une entreprise privée : la CMP (Compagnie du chemin de fer métropolitain de Paris) – la RATP ne verra le jour qu’en 1948.
L’accident
Le 10 août, vers 19 heures, le train 43, composé de huit voitures en bois, dont deux motrices (une en tête l’autre en queue), se dirige vers Nation. Il est conduit par le mécanicien-conducteur Vinot. Les agents chargés du service de la rame sont au nombre de sept : le mécanicien dans l’automotrice de tête avec le chef de train, le garde de queue dans la dernière voiture et quatre autres répartis dans les autres voitures. À l’arrivée en gare de Barbès, le chef de la station signale à Vinot que de la fumée se dégage sous le train. L’avarie est localisée dans l’automotrice avant, où le dispositif de prise de courant sur le rail brûle. Les employés font alors descendre les passagers, coupent le courant à bord et s’attaquent au feu avec une grenade extinctrice et de l’eau. La station Barbès étant aérienne, les quelques fumées de ce début d’incendie se dissipent rapidement. Le feu semble éteint et, pour ne pas bloquer le réseau, le conducteur repart à vide pour déposer son train au terminus de Nation. Il quitte Barbès vers 19 h 05.
On ignore alors que la cause de cet incendie n’est pas un problème de surchauffe, mais un court-circuit dans l’un des moteurs. Par conséquent, le fait de redémarrer ravive l’incendie. Après avoir passé sans s’arrêter les stations La Chapelle et Aubervilliers (aujourd’hui Stalingrad), le train fait halte à la station Allemagne (aujourd’hui Jaurès). Le feu est de nouveau rapidement éteint et le conducteur reprend sa route, redescendant dans le tunnel jusqu’à Combat (aujourd’hui Colonel-Fabien). Mais les flammes sont toujours présentes dans la motrice avant. On décide alors d’utiliser la rame suivante, vidée de ses voyageurs à Allemagne, pour pousser celle accidentée mise au point mort. Le nouveau convoi reprend la route en direction de Nation. Il passe ainsi les stations de Belleville et Couronnes.
Mais, alors que l’on pensait l’incendie circonscrit et les risques électriques supprimés, le feu reprend de plus belle dans le tunnel reliant les stations Couronnes et Ménilmontant. À 25 mètres de cette dernière, un nouveau court-circuit se produit, provoquant une série d’explosions, l’arrêt du convoi puis l’embrasement général de la motrice. Il est étonnant qu’aucun des agents présents n’ait pensé à décrocher une partie du convoi pour la repousser vers Couronnes. Cette simple opération aurait permis de réduire l’ampleur du feu en lui offrant moins de combustible. L’incendie va donc se propager à l’ensemble des voitures.
Le drame
Le trafic n’ayant pas été interrompu, une troisième rame, composée de quatre voitures, qui circulait juste derrière, arrive à ce moment-là à Couronnes. Ce train est surchargé car les deux rames précédentes ont passé plusieurs gares sans s’arrêter. Le chef de station demande aux voyageurs d’évacuer immédiatement les voitures et le quai. Mais peu d’entre eux obtempèrent, ne comprenant pas le danger. Ils préfèrent attendre la reprise du trajet et protestent, car ils ont été évacués des rames à Barbès et à Allemagne. Pas question, pour eux, de recommencer, ils ne veulent plus descendre. D’autres, furieux, agressent le personnel de la station, exigeant le remboursement de leur billet. Ces malheureux qui refusent de quitter le train scellent leur destin.
D’épaisses fumées noires venant de Ménilmontant commencent à envahir le souterrain. Lorsqu’elles atteignent la station Couronnes, une terrible bousculade éclate. Chacun tente comme il peut d’échapper à ce nuage toxique. La panique atteint son paroxysme lorsque l’éclairage électrique s’éteint brusquement. Dans les wagons, sur le quai, on cherche à tâtons les portes de sortie. Tout le monde se bouscule, se piétine, cherchant à sauver sa vie. Si certains se dirigent correctement vers les escaliers de l’unique sortie, d’autres, désorientés dans l’obscurité ou ne connaissant pas les lieux, gagnent l’extrémité nord de la station, où il n’y a pas d’issue.
Les secours
Les pompiers dépêchés sur place ne peuvent pas pénétrer dans les stations en raison de la chaleur extrême et des fumées toxiques : les stations Ménilmontant et Couronnes ne seront accessibles qu’aux premières heures du lendemain. Personne ne sait alors ce que contient « le trou des Couronnes », l’étendue du désastre n’est pas encore connue. Le préfet Lépine, les pompiers et les secouristes s’aventurent enfin au petit matin dans la station, munis de torches. Ils découvrent avec horreur des dizaines de corps asphyxiés, entassés dans le coin opposé à la sortie. La station Couronnes était un immense tombeau avec des grappes de personnes agglutinées au bout du quai contre les parois de céramique, mortes asphyxiées.
Reprise du service
Le 19 août, moins de dix jours après l’accident, la ligne 2 est dégagée. Les rames recommencent à circuler, mais les stations Couronnes et Ménilmontant ne rouvriront au trafic voyageur que le 19 septembre. La conception du matériel de l’époque est rapidement mise en cause. Des modifications sont décidées, notamment la métallisation des rames, ainsi que la refonte complète des techniques électriques et des systèmes de sécurité du réseau : éclairage de secours indépendant, avertisseurs d’incendie en relation téléphonique directe avec les pompiers, robinets à fort débit dans chaque gare, installation de blocs lumineux « Sortie », alimentés spécifiquement, éclairage des tunnels obligatoire, construction de dégagements plus grands, d’escaliers plus nombreux, de nouvelles voies de garage.
Cette catastrophe demeure la plus grave survenue sur le réseau parisien depuis sa création. Pourtant, combien de voyageurs qui utilisent quotidiennement la station Couronnes savent ce qui s’y est déroulé le 10 août 1903 ? Aucune indication, aucune plaque commémorative pour honorer la mémoire des victimes et signaler que cet événement tragique a conduit à des réformes essentielles en matière de sécurité. Cette lacune ne pourrait-elle pas être comblée à l’occasion du 120e anniversaire de la catastrophe ?
Alain Marcel