un quartier
Retour sur une opération d’urbanisme qui, à la fin de l’Ancien Régime, redessina la pointe nord-ouest du futur 11e.
Installés au XIIe siècle au-delà de l’enceinte de Philippe Auguste, les Templiers possédaient les terres entourant l’enclos du Temple, situé à l’emplacement actuel du square du Temple et de la mairie du 3e arrondissement.
Après la chute des Templiers au début du XIVe siècle, les biens du Temple furent dévolus à leurs rivaux, les Hospitaliers de l’ordre de Saint-Jean-de-Jérusalem, appelés aussi les chevaliers de Malte. Mais le nom du Temple perdura pour le grand prieuré de France. À sa tête, des princes du sang ; le dernier grand-prieur fut élu en 1777, âgé de… deux ans : le duc d’Angoulême, fils aîné du comte d’Artois (le futur Charles X) et donc neveu de Louis XVI. Le comte d’Artois avait pour capitaine des gardes le chevalier de Crussol ; il le nomma administrateur général du Temple et, en 1778, les deux hommes décidèrent de lotir les Marais, c’est-à-dire les jardins maraîchers du Temple, jusqu’à la rue de la Folie-Méricourt. Ce projet d’urbanisme concernait l’est de l’enclos du Temple et fut baptisé la Nouvelle Ville d’Angoulême, en l’honneur du jeune grand prieur. Le roi signa les lettres patentes en octobre 1781, enregistrées par le Parlement de Paris en février 1782.
La rue torse des Marais-du-Temple laissait place à un quadrillage de cinq rues où construire des immeubles. L’axe central en était la rue d’Angoulême, avec pour parallèles les rues de la Tour et de Crussol, coupant les rues du Grand-Prieuré et de Malte. Les noms de ces nouvelles voies sont à la gloire du Temple – hormis la Tour, échevin de Paris de 1775 à 1777.
À noter que le projet était contemporain de l’opération menée à partir de 1781 par le duc de Chartres (le futur Philippe-Égalité) autour des jardins du Palais-Royal : là aussi il s’agissait de lotir des immeubles de rapport, bref de susciter des revenus immobiliers. La réalité fut moins ambitieuse pour le Temple, le projet initial étant revu à la baisse après 1783 : la place d’Angoulême ne fut pas réalisée ; la rue du Grand-Prieuré resta peu construite jusqu’à l’ouverture du canal Saint-Martin et ne fut pas prolongée. Bref, globalement, l’opération fut un échec : en 1792, un quart seulement de la superficie avait été vendue, pour une quarantaine de bâtiments. Faible taux de construction que révèle dès 1790 le plan de Verniquet.
Voici l’évolution du périmètre de la Nouvelle Ville d’Angoulême :
Voies | XVIe-XVIIIe siècles | XIXe-XXe siècles |
rue du Faubourg-du-Temple (ou rue du « faulxbourg de la porte du Temple appelé la Courtille », 1636) | début XVIe siècle | extrémité sud-ouest supprimée lors des aménagements à partir de 1865 de la place du Château-d’Eau (> place de la République en 1879) |
rue de la Tour | 1781 > 1783 | > rue Rampon (1864, nom d’un général d’Empire) |
rue d’Angoulême, l’axe central (ou d’Angoulême-du-Temple ou d’Angoulême-au-Marais) | 1781 (jusqu’à la rue des Trois-Bornes) ; prolongée en 1790 (jusqu’au boulevard du Temple) | prolongée vers le nord (1825, 1852, 1859) > rue Jean-Pierre Timbaud (1944-1945) |
rue de Crussol | 1781 > 1788 (depuis la rue de la Folie-Méricourt) | achèvement jusqu’au boulevard du Temple (1846) |
cité de Crussol | voie privée avec deux cours (1827, construite entre le 7 rue Oberkampf et le 10 rue de Crussol) | |
rue de Ménilmontant (ou de Mesnil-Montant ou du Chemin-de-Ménilmontant) | XVIe siècle > rue Chapus (nom d’un échevin de Paris de 1776 à 1778) | > rue Oberkampf (1864) |
rue de la Folie-Méricourt (ou Mauricaut[e], Mauricourt…) | avant 1650 | |
rue du Grand-Prieuré | 1781 > 1783 | non prolongée |
rue de Malte | 1781 | absorbe en 1851 la rue des Marais-du-Temple qui la prolongeait, devenue rue du Haut-Moulin-du-Temple ; élargie et tracé rectifié (vers 1866) |
rue des Fossés-du-Temple | 1770 | extrémité donnant sur la rue du Faubourg-du-Temple supprimée (percement en 1857 du boulevard du Prince-Eugène, renommé boulevard Voltaire en 1870) ; le reste renommé rue Amelot (en 1868 – rue créée en 1779 de la rue Saint-Sébastien à la Bastille), tout comme la rue Saint-Pierre-Popincourt entre les rues Oberkampf et Saint-Sébastien |
Surtout, la construction du canal Saint-Martin (1825), puis la création en 1857 du boulevard du Prince-Eugène et de l’avenue des Amandiers (futurs boulevard Voltaire et avenue de la République) ont transpercé le lotissement de trois axes larges, véritable saignée urbaine.
En fait, outre le numéro 136 de la rue Amelot, d’abord habité par Daniel Aubert, sculpteur chargé d’entretenir et de décorer les carrosses royaux, c’est une réalisation postérieure qui suggère ce qu’aurait pu être une réussite de la Nouvelle Ville d’Angoulême : la cité de Crussol, voie privée de 1827 – village au cœur de la ville, mêlant ateliers et logements, elle laisse aujourd’hui encore l’impression du charme sans égal d’une perle dans son écrin.
Gilles Gony