« Je suis un chanteur des rues… »
C’est par ces mots que Francis Lemarque, né Nathan Korb (1917-2002), introduit Paris PopuIi, cette épopée en chanson de la vie parisienne.
Son père, Joseph Korb, a gagné Paris après avoir, semble-t-il, déserté l’armée russe. Sa mère, Rosa Eidelman, est née en Lituanie. Tous deux sont issus de familles juives.
Durant les années 20, la vie est difficile pour les ouvriers et artisans parisiens. Les enfants Korb (Maurice, Nathan et Rachel) sont livrés à eux-mêmes. Nathan et Maurice sillonnent le quartier de la Bastille où règne une vie populaire festive, voire subversive, à l’instar des « apaches » et des « gigolettes » qui arpentent la rue de Lappe. Les bals musette, et notamment le Bal des Trois-Colonnes, situé juste en dessous de leur appartement, attirent leur attention. Puis ils vont écouter les musiciens, qui se produisent chaque soir sur les terrasses de trois cafés (Le Clairon, Le Départ et Le Tambour) de la place de la Bastille et ceux à proximité de la porte Saint Martin, interprétant des airs d’opéra, d’opérette et des morceaux populaires. Plus tard lors d’un interview il évoquera cette période heureuse : « Merci à mes parents de m’avoir fait naître à Paris ».
Il quitte l’école, certificat d’études en poche. Par la suite, devenu soutien de famille après le décès de son père, il occupe par nécessité de multiples emplois.
En 1934, Nathan et Maurice avec d’autres amis fondent dans le 11e arrondissement un groupe artistique : le groupe Mars, dans l’esprit du groupe Octobre, affilié à la Fédération des Théâtres ouvriers de France, liée au Parti communiste (PCF), dont toute sa vie il sera un fidèle compagnon de route. Parrainés par des artistes professionnels, ils s’initient aux rudiments du théâtre de groupe. Attirés par l’Agitprop ils participent aux grèves de 1936, jouant dans les cours, les rues et les usines occupées.
En 1940, Nathan est mobilisé et affecté comme « lieutenant-guitariste ». Après l’armistice, il passe en zone libre et s’installe à Marseille où il rencontre Django Reinhart,puis rejoint le maquis. À la Libération, il s’engage dans le 12e régiment de dragons. Ces engagements lui vaudront plusieurs décorations.
C’est à partir de 1946 que sa carrière d’auteur-compositeur, mais aussi de chanteur, va prendre son essor, notamment grâce à son ami Jacques Prévert, qui le présente à Yves Montand.Celui-ci intègre à son répertoire « À Paris », « Je vais à pied », « Ma douce vallée », « Bal petit bal » et un peu plus tard « Quand un soldat… » puis, par la suite, trente chansons de, dorénavant, Francis Lemarque.
À partir de 1946, il compose, durant cette période dite des Trente Glorieuses, environ 80 chansons, une douzaine de musiques de film et notamment celle de Playtime de Jacques Tati.
Que retenir de Francis Lemarque ? Un chanteur populaire dont l’œuvre, en raison de l’humilité et de la sincérité des textes, des mélodies jouées à l’accordéon qui ont fait danser dans les guinguettes, appartient à la mémoire collective et à la culture populaire française. Un amoureux de Paris et des quartiers populaires, la Bastoche, thèmes qui reviennent souvent dans ses chansons, rappelant l’œuvre d’Aristide Bruant. Francis Lemarque est le type même du chanteur populaire qui symbolise Paris. C’est dans cet esprit qu’il écrira en 1972, à partir de textes de Georges Coulonges, la musique de Paris Populi, une grande épopée sur la vie de Paris et des Parisiens, de la révolution de 1789 jusqu’à la Libération. Une œuvre émouvante donnée en spectacle au T.E.P.
L’homme de gauche se manifeste dans son œuvre, dans une chanson en particulier, « Quand un soldat… », composée en 1953, en pleine guerre d’Indochine, provoquant l’ire des mouvements nationalistes et d’extrême-droite qui obtiendront la censure de celle-ci. Elle se termine par, oh scandale !
« Quand un soldat revient de guerre il a
Simplement eu d’la veine et puis voilà »
Il restera très attaché au 11e arrondissement qui lui rendra hommage avec le square Francis-Lemarque, au carrefour de la rue de la Roquette et du passage Charles-Dallery. Il fêtera son 75e anniversaire au Balajo,à 600 m. de sa maison natale. Il est inhumé au cimetière du Père-Lachaise, à proximité des tombes de Yves Montand et plus tard de Michel Legrand.
Marc Brion