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La rue des Immeubles-Industriels

Moins connue que la rue de Lappe ou la rue Oberkampf, reléguée à une extrémité de l’arrondissement, tout près de la Nation, la rue des Immeubles-Industriels, qui relie le boulevard Voltaire à la rue du Faubourg-Saint-Antoine, est pourtant l’une des rues les plus remarquables du 11e.

La rue de l’Industrie-Saint-Antoine – elle s’est appelée ainsi jusqu’en 1877 – est née de la rencontre d’un industriel, Jean-François Cail (1804-1871) et d’un architecte, Émile Leménil (1832-1923). En 1870, Cail fonde la Compagnie anonyme des immeubles industriels du Faubourg Saint-Antoine, dans le but de construire un ensemble comprenant des ateliers, des logements et une voie privée. Il en confie la conception à Leménil, qui construit l’ensemble en moins d’un an, en 1872-1873.

Destinée aux artisans et ouvriers du bois, elle est conçue comme une cité modèle, dans l’esprit des sociétés ouvrières utopistes de l’époque : « C’est l’habitation modeste, c’est l’humble logement approprié aux conditions de la classe laborieuse, en un mot, c’est l’installation qui puisse donner au travailleur un foyer pour sa famille et un atelier pour son ouvrage. » (L’Illustration, 12 juillet 1873).

L’ensemble compte 19 bâtiments, tous identiques. Un dessin, paru dans L’Illustration, en présente la structure : un rez-de-chaussée, un entresol, et trois étages surmontés de combles. Au sous-sol, une machine à vapeur de 200 chevaux, construite par la Société J.-F. Cail et Cie, distribue l’énergie aux 230 ateliers par un système d’arbres et de poulies. Un tunnel sous la rue permet d’en relier les deux côtés.

L’architecture, fonctionnelle, porte la marque de l’époque, associant la fonte, la brique, la pierre et le verre. Les ateliers, ouverts à la lumière par de grandes verrières, se situent au rez-de-chaussée, à l’entresol et au premier étage. Au-dessus des ateliers, dans les étages, les logements hébergent 2000 artisans et ouvriers, qui bénéficient d’un confort rare pour l’époque : gaz, eau chaude, éclairage, chauffage …

En 1877, la rue est rebaptisée « rue des Immeubles-Industriels », et l’ensemble est primé à l’Exposition universelle de 1878. En 1881, la Compagnie cède la chaussée à la Ville.

En 1914, une partie des ateliers étaient devenus vacants. Après la Grande guerre, des immigrés juifs polonais s’installent dans les logements et les ateliers vacants. Ils y développent des activités de confection, qui vont se substituer au travail du bois. En 1939, sur 450 résidents, 246 sont Juifs, constituant une sorte de Yiddish land.

Sous l’Occupation, le quartier est décimé par des rafles. Beaucoup de jeunes s’engagent dans l’armée française ou entrent dans les FTP-MOI (Francs-tireurs et partisans – Main-d’œuvre immigrée). Parmi eux, Marcel Rajman (1923-1944), dont la famille vivait au n° 1, rejoint le groupe Manouchian. Responsable des Jeunes communistes du 11e, il est arrêté par la police française le 16 novembre 1943 pour avoir abattu Julius Ritter, responsable du STO en France, et est fusillé au Mont-Valérien le 21 février 1944, avec l’ensemble du groupe Manouchian.

Au numéro 12, vivait Rivka (Régine) Lemberger dite Stefa Skurnik (1917-2014), arrivée de Pologne en 1936, fille de l’un des fondateurs du Parti communiste polonais. Elle milite dans la section PCF du 11e, et soutient les Brigades internationales pendant la guerre d’Espagne. Elle rejoint ensuite la Résistance comme agent de liaison du groupe Manouchian. Après la guerre, installée au 70 boulevard Voltaire, elle milite dans les associations juives et devient une figure associative connue du 11e arrondissement. Depuis 2018, une allée porte son nom, sur le terre-plein du boulevard de Ménilmontant, entre la rue de la Roquette et la rue du Mont-Louis.

Michel Puzelat

* La rue des Immeubles-Industriels, inscrite à l’inventaire des Monuments historiques depuis 1992, a son historien : Hervé Deguine, Rue des Immeubles-Industriels : la cité idéale des artisans du meuble : 1873-1914, 2015. Hervé Deguine, Rue des Immeubles-Industriels : une rue de Paris en guerre (1939-1945), 2018.