Il y a 400 ans était fondée l’église Sainte-Marguerite, longtemps la seule église du faubourg Saint-Antoine et du 11e. Une église, à cette époque, c’est plus qu’un lieu de culte ; c’est un repère social, un lieu de rassemblement ; c’est la maison commune. L’année 2024 est donc celle de la commémoration de cette fondation, à laquelle nous contribuons, aux côtés de la Mairie du 11e et de la paroisse Sainte-Marguerite.
Le 26 octobre 1624, Jean de Vitry, seigneur de Reuilly, fait don à Antoine Fayet, curé de Saint-Paul, d’une terre sise au faubourg Saint-Antoine, à l’effet d’y construire une chapelle. C’est la date qui est retenue comme date de fondation de l’église Sainte-Marguerite, dont le 4e centenaire est commémoré en cette année 2024.
Au début du XVIIe siècle, le faubourg Saint-Antoine, qui s’étend hors de l’enceinte de Paris depuis le chemin de Ménilmontant – l’actuelle rue Oberkampf – jusqu’à la Seine, est encore un territoire rural, peu peuplé. En 1635, on n’y dénombre que 150 maisons pour 200 familles. Sur le plan religieux, il dépend de la paroisse de Saint-Paul-des-Champs, rue Saint-Paul (dans l’actuel 4e). C’est là que les paroissiens doivent se rendre pour assister à la messe, recevoir les sacrements, célébrer les mariages ou les enterrements.
Une chapelle au milieu des champs
En octobre 1624, Antoine Fayet obtient de l’archevêque de Paris, Jean-François de Gondi, l’autorisation de construire une chapelle « pour la commodité des habitants », près de l’abbaye Saint-Antoine. Un premier bâtiment est construit en 1625 et placé sous l’invocation de Sainte-Marguerite. Ce n’est alors qu’un petit bâtiment rectangulaire sous une voûte en berceau, correspondant aux trois premières travées de la nef actuelle. Un acte daté de 1627 nous apprend que « ledit sieur Fayet a fait bastir, édiffier et construire l’église de Sainte-Marguerite à ses frais et despens ».
Mais cette construction n’est pas du goût des administrateurs de la paroisse Saint-Paul, qui multiplient les recours en justice contre la reconnaissance de la nouvelle église. Le 6 février 1634, un arrêt du Parlement de Paris donne gain de cause à Antoine Fayet, en y autorisant le culte, tout en la maintenant sous la tutelle de la paroisse Saint-Paul. Antoine Fayet meurt peu après et est inhumé dans la chapelle qu’il avait fait construire. Son monument funéraire est toujours visible dans l’église Sainte-Marguerite.
En 1637, le nouveau curé, Nicolas Mazure, obtient la permission d’ouvrir un cimetière. L’église se retrouve au milieu d’un enclos qui s’étend jusqu’à la rue Sainte-Marguerite (l’actuelle rue Trousseau), ouverte en 1642.
La chapelle devient église paroissiale
Dans la seconde moitié du XVIIe siècle, l’octroi de la liberté du travail au faubourg y attire toute une population d’artisans et d’ouvriers, parmi lesquels de nombreux protestants, désirant échapper aux contraintes des corporations. Peuplé de quelques centaines d’habitants vers 1640, le faubourg en compte 40 000 au début du XVIIIe.
Le 1er décembre 1712, l’église Sainte-Marguerite est érigée en paroisse à part entière et détachée de Saint-Paul. Le décret de création de la paroisse, signé du cardinal de Noailles, archevêque de Paris, énumère les désordres résultant de la situation antérieure : « Les libertins et les nouveaux réunis (1) qui sont en très grand nombre dans ledit faubourg n’étant pas veillés de près, se dispensent même du devoir pascal sans craindre d’être connus parce qu’ayant la liberté de satisfaire à ce devoir à Saint-Paul ou à Sainte-Marguerite, on ne peut découvrir ceux qui y manquent… Les bans des futurs mariages (2) des habitants du dit faubourg se publiant dans l’église Saint-Paul seulement… il arrive même que des personnes mariées passent par ce moyen sans obstacle, à de secondes noces du vivant de leurs premières femmes ou maris, à l’insu de leurs parents qui allant à la messe de paroisse et au prône à Sainte-Marguerite ne peuvent entendre les publications qui se font à Saint-Paul. »
Le premier curé de Sainte-Marguerite, qui entre en fonction le 13 janvier 1713, est Jean-Baptiste Goy, dont le ministère durera jusqu’en 1738. C’est un personnage atypique qui, avant d’entrer dans les ordres, avait été artiste. Il s’était adonné à la sculpture et avait séjourné dix ans à l’Académie de France à Rome. Plusieurs de ses œuvres ornaient les jardins des résidences royales de Versailles, Meudon ou Marly. Devenu curé de Sainte-Marguerite, où vingt prêtres officient sous son autorité, il œuvre notablement à l’agrandissement et à l’embellissement de l’édifice. On lui doit ainsi plusieurs tableaux et les sculptures qui ornent les deux frontons, au nord et au sud.
Aux XVIIIe et XIXe siècles, l’histoire de Sainte-Marguerite sera intimement liée à l’histoire du faubourg, dont elle épousera les tribulations. Nous y reviendrons dans un prochain article.
Michel Puzelat
(1) Les « nouveaux réunis » sont les protestants convertis au catholicisme après la révocation de l’édit de Nantes (1685), soupçonnés de continuer la pratique de leur ancien culte en cachette.
(2) La publication des bans de mariage a pour objet d’inciter les personnes qui auraient connaissance d’un cas d’empêchement (notamment la consanguinité ou la polygamie) à le dénoncer aux autorités.