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Casque d’Or ou « la Reine des apaches »

« Née à Orléans, au pays de la Pucelle ! », glissait avec malice « Casque d’Or ». Un surnom qui claque comme pour une déesse antique, mais la réalité fut plus banale. La presse et le cinéma se chargèrent du mythe.

La gigolette n’était pas une Parigote : tout commence à Orléans, en 1878, pour Amélie, fille de Gustave Élie et Marie Louise Delacourtie. Amélie, celle qui aime Élie ? Le choix est troublant. Trois ans plus tard, la famille déménage dans le 11e, impasse des Trois-Sœurs, qui donne rue Popincourt. Autre fait curieux : Amélie avait une sœur aînée et une cadette – au milieu de la « fratrie », elle sera l’élue du « milieu » faubourien…

À 13 ans, Amélie se met à la colle avec un jeune ouvrier, « le Matelot », qui en a 15. « Hélène de la Courtille » (surnom si proche du nom de sa mère…) la met dans son lit et… sur le trottoir, boulevard de Charonne. Puis elle devient une « gagneuse » pour « Bouchon », le pire proxénète de Charonne, alcoolique et violent – elle s’enfuit, à 19 ans.

Plus durable : en 1898, elle croise Joseph Pleigneur, dit « Manda », né en 1876 rue Ramponneau, ancien polisseur, poète à ses heures et chef de la bande des Orteaux, dite aussi de la Courtille ou de Charonne. Elle se met sous la protection de Manda contre Bouchon. Passionnés, Amélie et Manda se fiancent dans un bal populaire du 14-Juillet, avenue Parmentier. Elle quitte le bitume pour des maisons closes, lui rapine… ou la trompe avec la maîtresse d’un certain Leca. Elle va se venger.

Amélie rencontre en effet, en décembre 1901, dans un rade du boulevard Voltaire, ledit Dominique Leca, « le Corse », né en 1874 avenue de Bouvines et chef de la bande des Popinc’, les gars de Popincourt. Elle quitte aussitôt Manda pour Leca, son nouveau protecteur. Le 30 décembre en soirée, au coin des rues Popincourt et du Chemin-Vert, Manda se jette avec un surin sur Leca, Amélie s’interpose, le coup est dévié. Puis Manda tire au revolver sur la façade de l’hôtel où crèchent Amélie et Leca, rue Godefroy-Cavaignac. Une bataille rangée oppose les deux bandes, le 5 janvier 1902 – une « lutte homérique » (Le Matin). Leca reçoit deux balles, est hospitalisé à Tenon. Le 9 janvier, à sa sortie, il s’éloigne en fiacre, Manda le suit, bondit sur le marchepied et le frappe de son couteau. Cette fois, police et justice s’activent.

Manda est arrêté le 2 février, passe en cour d’assises fin mai ; Amélie doit témoigner, hésite entre les deux rivaux. Manda est condamné aux travaux forcés à perpétuité. Leca, extradé de Belgique où il a fui, sera jugé en octobre et condamné à huit ans de bagne. Ils ne reviendront pas de Cayenne.

Le Petit Journal fait d’Amélie « la nouvelle belle Hélène de Ménilmontant ». Les journalistes la surnomment « Casque d’Or ». Mais la guerre de Troie entre les membres des deux bandes encore en liberté n’aura pas lieu.

La presse invente le mythe des Apaches

En 1900, Le Soleil avait décrit « Les Apaches de Paris » et Le Matin titré sur « Les “Apaches” » : « Nous avons l’avantage de posséder, à Paris, une tribu d’Apaches dont les hauteurs de Ménilmontant sont les Montagnes-Rocheuses. » La presse se précipite en 1902 sur les embrouilles des voyous du 20e et du 11e. S’indignant des désordres de l’Est parisien, elle en rajoute dans les récits et les gravures à sensations pour appâter le lectorat. Et le journaliste Arthur Dupin de reprendre la métaphore qui va faire florès une décennie durant : « Ce sont là des mœurs d’Apaches, du Far West, indignes de notre civilisation. Pendant une demi-heure, en plein Paris, en plein après-midi, deux bandes rivales se sont battues pour une fille des fortifs, une blonde au haut chignon, coiffée à la chien ! » – « une chevelure,ajoute un autre, qu’ont chantée tous les poètes des faits divers et les bardes du reportage ».

De juin à août 1902, le Fin de siècle publie en feuilleton Les Mémoires de Casque d’Or (1). Avec comme « garantie de [leur] authenticité absolue », le fac-similé du contrat éditorial avec Amélie. Elle est « en train de connaître toutes les gloires », note Le Matin : la peinture, la chanson, le roman, le cinéma muet et le théâtre s’emparent de son personnage. On la sollicite pour monter sur les planches, mais, confie-t-elle, «la police n’a pas voulu que j’entre au théâtre et que je chante chez Alexandre », voire qu’elle soit une attraction… dans la cage d’un dompteur.

Avec pour l’éternité le visage de Signoret

Amélie comme les Apaches disparaissent de l’actualité. Elle épouse début 1917 André Nardin, un bonnetier du 20e. Mais un journaliste la retrouve en 1925 à la tête d’une maison close, rue des Rosiers : « Il y a sept ans que je suis aux Rosiers. Jamais de scandale, jamais de bruit. Ces messieurs de la préfecture pourront vous le dire… […] Je suis maintenant une bonne épouse et je gagne honnêtement ma vie. » Elle meurt en avril 1933.

Le cinéma la ressuscite en 1952, magnifiée par Jacques Becker et le couple solaire formé par Signoret et Reggiani. Si le scénario de Casque d’Or est très éloigné de la réalité, « la belle Hélène moderne » du Matin est à jamais transfigurée en femme libre, amoureuse et héroïne tragique.

Gilles Gony

(1) https://www.retronews.fr/journal/le-fin-de-siecle/05-jun-1902/687/2684553/1.