Au 22 de la rue Faidherbe, un immeuble, fruit du passé industriel du quartier, offre aujourd’hui une tout autre image. Luxe et raffinement d’un hôtel haut de gamme ont pris la place des ateliers et bureaux de jadis.
La société Boutet, spécialisée dans la fabrication et la transformation du contreplaqué, dont le siège était à Vichy, fournissait en bois européens et exotiques les ébénistes du faubourg Saint-Antoine. C’est en novembre 1925 que cette entreprise, ayant déjà un entrepôt de vente au 8 rue du Dahomey, obtient le permis de construire un nouvel immeuble pour sa succursale parisienne. Le chantier, confié à l’entreprise Marguinaud, débute en 1926, sous la direction de l’architecte Achille Champy.
L’Art Déco, en réaction à l’Art Nouveau, à ses décorations exubérantes et lignes courbes, privilégie les lignes simples et épurées, les compositions classiques et géométriques ; il utilise des matériaux variés et superposés pour embellir façades et intérieurs ; une attention particulière est accordée aux couleurs, aux motifs.
Champy réalise ainsi un bâtiment de quatre étages, avec une ossature en béton armé laissé apparent. Des frises en carreaux émaillés, dues aux céramistes qui ont décoré le Louxor, jalonnent la corniche et les spécialités de l’entreprise sont énoncées en mosaïques de lettres bleues et or sous les fenêtres. Un auvent façon marquise monumentale, en « béton translucide », couronne l’entrée de l’établissement.
Plusieurs vies en un siècle
Le bâtiment Boutet a changé plusieurs fois de vocation. En 1944, il devient une chocolaterie : La Suisse Normande, jusqu’à ce qu’en 1983, l’entreprise reprise par Cémoi quitte Paris. Lors du déménagement, la façade doit être ouverte au niveau du deuxième étage afin de sortir les cinq conches à malaxer le chocolat.
Acquis par la RATP, l’immeuble est réhabilité et surélevé de deux étages – il accueille en 1989 les bureaux d’études de la Régie. Le groupe Accor Hôtel se porte acquéreur de l’édifice en 2014. L’architecte Vincent Bastié, spécialiste dans la remise à neuf des hôtels, est engagé pour mener un vaste chantier de réhabilitation. Outre la rénovation de l’escalier monumental à l’intérieur et de la marquise à l’extérieur, la façade est retravaillée, la mosaïque fidèlement restaurée, le cachet rendu aux étages quadrillés de hautes fenêtres. À l’intérieur, l’architecte et les décorateurs font la part belle aux matériaux du passé du Boutet – bois, béton et métal poli. Les élèves de l’École Boulle voisine ont conçu deux suites en hommage au travail du bois, la suite Teck et la suite Ébène. Le 21 mars 2016, le Boutet Bastille Hôtel est inauguré – c’est le premier cinq-étoiles de l’Est parisien, il propose 80 chambres, dont dix suites avec terrasses végétalisées.
L’alliance de la modernité d’un palace et de la structure industrielle rend ce lieu très particulier. Saluons cette volonté manifeste d’en conserver l’histoire, assumée jusque dans le nom de l’hôtel actuel. À la fois témoignage des mutations sociales du quartier et mémoire de son passé faubourien, la grande et belle façade de l’hôtel Boutet reste emblématique – elle est inscrite sur la liste des protections patrimoniales du 11e.
Alain Marcel