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1, rue du Marché-Popincourt : un modèle de logement social

  • Un lieu

Première Habitation à Bon Marché (HBM) construite en 1908 par la Fondation Rothschild, marqueur de l’histoire du logement social, ce modèle de construction innovant sera repris par la Ville pour la construction des HBM de la ceinture parisienne.

Au milieu du XIXe siècle, l’état du logement ouvrier parisien est effroyable. Malgré la loi du 13 avril 1850 sur l’assainissement des logements insalubres, la situation n’évolue que très peu. C’est à l’initiative privée que revient alors l’essentiel de la production de logements destinés aux ouvriers : la rue des Immeubles-Industriels (1), la maison ouvrière de la rue Rochechouart, les pavillons de l’avenue Daumesnil, etc. L’idée de construire des cités ouvrières ne satisfait ni les conservateurs ni les progressistes. Les premiers y voient un danger par la concentration en un lieu unique des classes laborieuses, propice à la révolte et à la moralité douteuse. Les progressistes reprennent l’argument de l’avilissement moral mais voient aussi un piège tendu par les conservateurs pour contrôler et réprimer les ouvriers.

L’action des industriels en faveur du logement des salariés aboutit à un début de législation. La loi Siegfried du 30 novembre 1894 est la première qui marque l’intervention directe de l’État. Elle vise à aider les constructeurs à résoudre un problème budgétaire : rétablir l’équilibre financier de la gestion en réduisant les coûts de la propriété immobilière (facilités de crédit, immunités fiscales pendant 5 ans, exonération des taxes d’enregistrements). Elle donne aussi une définition de l’HBM : un logement dont le loyer annuel est inférieur à une somme donnée – 375 francs pour Paris en 1894 (2), somme réévaluée régulièrement.

Profitant de la loi, en 1904, les trois frères Rothschild, Alphonse, Gustave et Edmond, créent la Fondation Rothschild pour l’hygiène sociale et la dotent d’un fonds de 10 millions de francs (3). Son objet : « l’amélioration des conditions d’existence matérielle des travailleurs ». Ils sont les premiers à entreprendre un programme à grande échelle. Confiée à Jules Siegfried (initiateur de la loi), Georges Picot et Émile Cheysson, la fondation lance un concours pour salarier des architectes ayant des idées neuves sur le logement social. Avec pour cahier des charges la construction de logements hygiénistes (air et lumière en abondance) et modernes (adduction des eaux propres, évacuation des eaux usées, des ordures ménagères, lavage et séchage du linge, éclairage et chauffage). Cheysson précise également qu’il convient « de veiller à ce que l’ensemble des constructions ne puisse en aucune façon évoquer l’idée de la cité ouvrière, de la caserne ou de l’hospice ».

Ventilation et héliothermie

Réalisée en 1908, l’opération du marché Popincourt répond à un double enjeu : la construction de logements, mais aussi l’aménagement du quartier suite à la destruction du marché alimentaire en 1903.

Conçu par Adolphe-Augustin Rey, Henry Provensal et Henri-Paul Nénot, l’immeuble de 7 étages sur rez-de-chaussée, développé selon un plan en H, comporte 74 appartements, du studio aux trois pièces, avec WC privatifs. Le fil conducteur du projet est de fait l’hygiène. Les façades et les cours ouvertes au maximum sur la rue permettent à l’air de circuler et à la lumière de pénétrer dans les appartements. 

La construction se veut de qualité, soubassement et saillies en pierre, mais pas trop coûteuse, rapide à monter et facile d’entretien, d’où le choix de la brique pour les façades. Autre innovation : les persiennes métalliques pour les fenêtres. Les cages d’escalier sont revêtues, à mi-hauteur, de carreaux de céramique métro blancs. Les murs peints sont lessivables. Les moulures et corniches, nids à poussière, sont bannies. La vie communautaire est favorisée par la création de services communs (buanderies, lavoir, garage à vélos, bains-douches et même une chambre mortuaire). Dans un souci moralisateur, l’entrée monumentale permet au concierge d’assurer un contrôle sur les allées et venues.

Traversant le XXe siècle, l’immeuble demeure la propriété de la Fondation Rothschild.

Laurent Pivaut

(1) Voir L’article

(2) Salaire journalier moyen ouvrier pour un homme à Paris en 1894 : 4,07 francs.

(3) Équivalant à 28 millions d’euros actuels.