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20 août 1941 : le 11e en état de siège, une rafle méconnue

  • Une date

Opération inédite à Paris : un arrondissement quadrillé par les forces françaises et allemandes. Près de trois mille Juifs étrangers et – une première – français arrêtés, pour lesquels on ouvre le camp de Drancy. Trois nouveautés dans les persécutions antisémites – pourtant cette rafle n’a pas été érigée en symbole mémoriel ou historique.

Le 20 août 1941 est un mercredi. À 5 h 30, le 11e est cerné par 2 400 policiers français, sous contrôle de la Feldgendarmerie ; les stations des métros traversant ou longeant le 11e sont fermées : aucune échappatoire. L’objectif ? Arrêter le plus possible d’hommes juifs français et étrangers, de 18 à 50 ans. Dans la rue, au hasard des contrôles d’identité. Dans des immeubles repérés grâce au fichier central des Juifs, constitué par la préfecture de Police en octobre 1940. Les policiers français ont tout en charge : arrestations, formalités, transferts en autobus.

Bilan : 2 894 appréhendés, environ 5 % des hommes adultes du 11e ! Ainsi Moszek Rajman, le père de Marcel, au 1 rue des Immeubles-Industriels – 18 autres hommes de la rue sont raflés. Mais aussi Natan Darty, 21 ans (futur créateur des magasins Darty), Yves Jouffa, 21 ans (futur président de la Ligue des droits de l’homme). Les jours suivants, l’opération s’étend à la majorité des arrondissements. Au total, 4 232 Juifs, dont 1 500 Français et des anciens combattants, sont raflés. « Pour la première fois, les autorités allemandes ont ordonné l’arrestation collective par la police française de Juifs français », résume le préfet Ingrand dans une note à Pierre Pucheu, promu ministre de l’Intérieur de Vichy le 11 août.

Les camps de Pithiviers et Beaune-la-Rolande étant pleins, l’occupant ouvre un nouveau lieu dans la cité de la Muette à Drancy, où avaient été internés des prisonniers de guerre en juin 1940. Ainsi naît « le camp de Drancy », en fait des immeubles en zone urbaine. Là aussi le contrôle est allemand, mais les gardiens sont des gendarmes français – la préfecture de la Seine gère, très mal, l’intendance.

Une opération politique de représailles

Pourquoi cette action décidée l’avant-veille par les nazis, qui donnèrent leurs ordres à la préfecture de Police sans prévenir les représentants de Vichy à Paris, dont le préfet Ingrand ? Depuis l’invasion de l’URSS le 22 juin 1941, la répression contre les communistes est devenue une priorité, qui se mêle à la traque des Juifs – ce sont en partie les mêmes, notamment parmi les étrangers réfugiés en France. Le judéo-bolchevisme, voilà alors l’ennemi clé des nazis ; en 1944, ils dissocieront l’antisémitisme, rapproché de l’antiaméricanisme, et l’anticommunisme, les ennemis de l’Ouest et ceux de l’Est. Comme le rappelle Hervé Deguine, le 20 août est « une rafle punitive […]. Les Allemands veulent des représailles […,] entendent frapper vite et fort, espérant ainsi décourager la vague d’agitation communiste. […] Sont visés […] plus particulièrement les Juifs communistes, quelle que soit leur nationalité. »

Les événements s’entremêlent en effet : le 13 août, de jeunes communistes manifestent à Strasbourg-Saint-Denis en chantant La Marseillaise, Samuel Tyszelman (Juif polonais) et Henri Gautherot (catholique) sont arrêtés ; le 14, une affiche allemande menace de mort tout activiste communiste ; le 18, la rafle du 20 est décidée ; les deux jeunes sont fusillés le 19 ; rafle du 11e le lendemain ; le 21, premier meurtre d’un officier allemand au métro Barbès par Pierre Georges, pour venger « Titi » et Henri ; création des sections spéciales par Vichy le 24, afin de juger les activités communistes. 

La vague répressive qui s’ensuit multiplie les fusillades allemandes d’otages communistes et/ou juifs. Le 15 décembre, en particulier, vit 69 exécutions au Mont-Valérien, dont huit Juifs du 11e : ainsi Israël Bursztyn (une plaque rappelle son souvenir rue Morand), Wolf Bursztyn et Mayer Zauberman, tous trois raflés le 20 août, mais aussi Charles Weinberg et Aron Szcypior, arrêtés la veille.

S’ajoutant en effet aux arrestations d’individus, la rafle d’août 1941 fut la deuxième grande opération contre les Juifs à Paris, après la rafle « du billet vert » du 14 mai, avant la rafle « des notables » du 12 décembre 1941 : cette année-là, l’objectif des autorités allemandes est de regrouper les Juifs dans des camps spéciaux.

La « solution finale » sera organisée par la conférence de Wannsee, le 20 janvier 1942. Viendront les convois de déportation, dernière étape vers la Shoah : le convoi n° 1 partira de Drancy et Royallieu vers Auschwitz le 27 mars, avec neuf Juifs de la rue des Immeubles-Industriels raflés le 20 août 1941 – aucun ne revint ; Moszek Rajman sera emmené sans retour le 22 juin dans le convoi n° 3, comprenant 485 Juifs français et des femmes. La rafle du Vél d’Hiv’ les 16 et 17 juillet 1942 confirme qu’un nouveau degré est franchi, femmes, enfants et vieillards étant aussi arrêtés indistinctement. L’heure est venue de l’extermination des Juifs dans toute l’Europe occupée.

Gilles Gony